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Cinema Babel

Cinema Babel:
invisibilité, linéarité et régularisation du sous-titrage et du doublage

Par Raquel Ruiz et Catherine Aguilar

© Raquel Ruiz, 2009


Débat autour du livre « Cinema Babel, Translating Global Cinema », dans le cadre de Visions du Réel 2009, Festival International de Cinéma à Nyon, au bord du lac Léman. Participants au débat: Abé Mark Nornes, universitaire américain, traducteur et ancien coordinateur du Festival international du film de Yamagata, Japon, Catherine Terrettaz, Québécoise, réalisatrice de télévision, et Marc Marti, réalisateur suisse, tous deux co-responsables d'AdaLin, centre SRG SSR Idée suisse de production et adaptations linguistiques pour la télévision et le cinéma.

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De gauche à droite: Jean Perret, Abé Mark Nornes, Catherine Terrettaz

En abordant la traduction de films dans le contexte de la globalisation, Nornes se demande ce que signifie vraiment la traduction dans ce média. Il précise qu'il s'agit non seulement de reproduire des contenus originaux dans une autre langue, mais encore de transmettre des informations à plusieurs niveaux cinématographiques. Selon lui, « les images animées ont constitué dès le départ un média globalisé, lié à la traduction et aux décalages ». Aux dires de Nornes, « dès que les films franchissent la barrière linguistique, ils passent pour étrangers. Non seulement la langue elle-même, mais aussi les signes visuels tels que les gestes, la physionomie et les affiches définissent le caractère « étranger » d’un film. Or, la stratégie narrative de la plupart des films américains se fonde sur un réalisme parfaitement lisible. Leur linéarité temporelle et spatiale, à la fois raffinée et perfide, permet au spectateur de se détacher mentalement de son corps pour se plonger dans l’illusion projetée sur le grand écran. Sa personne s'aligne sur l’inconnu et recrée ainsi l’état qui précède la confusion linguistique babylonienne ».

Nornes démontre que le sous-titrage et le doublage se sont normalisés et régularisés au cours de leur histoire. Pour Marc Marti, l'inconvénient d'une technologie plus accessible est que tout le monde peut créer des sous-titres: la qualité n'est donc pas garantie.

Nornes est loin de porter un regard pessimiste sur le futur du sous-titrage professionnel, malgré son caractère quasi homogène. Au contraire, il voit dans l’apparition de « pirates » qui esquivent le sous-titrage standardisé une source d’inspiration pour les traducteurs. Cela peut enrichir le monde du sous-titrage: par exemple, au lieu de centrer et de placer les sous-titres en bas de l'écran, ils les insèrent en haut, à gauche ou à droite, dans une variation de couleurs, polices de caractères et rythmes.

Le débat « sub versus dub » (sous-titrage contre doublage), sujet très controversé dès l’introduction des films parlants au début des années 30, tourne cette fois autour de la « violence » qu’on inflige au film par les inévitables contraintes du sous-titrage. Marc Marti souligne le passage du registre sonore au registre écrit et la lecture d'une langue tandis qu'une autre est audible. Il en va de même des films doublés qui perdent toute authenticité, sonorité, musicalité, timbre et nuances de la langue originale. Catherine Terrettaz montre à cet effet quelques séquences (sous-titrées) du film ¡QUE SERÁ ! du réalisateur suisse allemand Dieter Fahrer où les résidents d’une maison de retraite parlent de leur vie. Elle démontre ainsi le danger des films doublés où les personnages sont réels.

Par ailleurs, presque tous les films en langue originale « exotique » sont d’abord traduits en anglais. L'anglais devient ainsi la « langue source » (ou « pivot language ») dans ce qui s’appelle la « genesis file », ce que Nornes qualifie de « terminologie impérialiste ». Lors du sous-titrage dans la langue cible, d’innombrables aspects des dialogues originaux son perdus.

Autre preuve du désintérêt vis-à-vis des traducteurs au sein de l’industrie cinématographique (où les traducteurs sont souvent mal considérés, mal payés et obligés de se plier aux exigences des producteurs ou distributeurs qui leur imposent des conditions impossibles): l’absence totale de cours de traduction dans les écoles de cinéma ainsi que le manque de producteurs et réalisateurs lors de la postproduction, notamment au stade de la traduction. Comme professionelle du sous-titrage, Catherine Terrettaz rompt une lance avec les traducteurs et souligne que « aucun film n’est fini avant qu’il franchise la barrière linguistique » et ajoute: « Je ne connais pas de cinéaste qui accepterait de n’avoir aucun droit de regard sur le montage de son film. Mais curieusement, bien peu se soucient de la traduction. »

Compte tenu de ces faits, il n'était guère surprenant de constater que parmi les participants au débat figuraient avant tout des professionnels du sous-titrage et du doublage.



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